Le patrimoine
architectural et historique de Marrakech
sous la menace du temps

Destination
touristique par excellence, Marrakech c’est
aussi l’une des villes impériales du Maroc,
des plus riches en monuments historiques et
architecturaux. Si de grands efforts ont été
déjà entrepris, depuis des années pour le
renforcement des infrastructures d’accueil
de la ville (hôtels, cafés, restaurants…),
cela s’est fait parfois au détriment de
certains sites historiques de la capitale
almoravide.
En outre, dès qu’il s’agit de parler
«patrimoine», une certaine négligence se
fait sentir au niveau de l’entretien, de la
réfection et de la mise à niveau de nombre
de monuments historiques de cette cité. Des
édifices qui font la particularité de cette
ville et dans la plupart remontent aux
siècles précédents, où Marrakech fut érigée
en capitale, à la fois, politique et
économique, par nombre de grandes dynasties
qui se succédèrent au pouvoir au Maroc.
L’un des monuments historiques de la ville
ocre qui mérite une attention particulière,
étant le mausolée de son premier bâtisseur,
Youssef Ibn Tachfine.
Et visitant ce lieu, on se pose la question
de savoir s’il n’est pas temps de rendre
hommage à cet homme, en mettant à niveau cet
espace où il repose. Une question pressante,
surtout devant l’insistance de nombre de
touristes étrangers qui ne ratent pas
l’occasion de faire cette remarque,
s’interrogeant sur les vraies causes de
cette dégradation honteuse de ce site et
cette indifférence totale des parties
concernées.
La question devient aussi embarrassante
lorsqu’elle est soulevée, comme ce fut le
cas, et à maintes reprises par des
congressistes étrangers devant un parterre
de collègues venus des quatre coins du monde
participer à une rencontre ou un colloque
quelconques.
Est-ce qu’on est toujours tenu d’attendre à
ce que des étrangers nous fassent des
remarques pour pouvoir réagir?
Certes, des voix à l’intérieur comme à
l’extérieur de la ville des sept saints ne
cessent de se lever pour la préservation des
richesses historiques. Il s’agit d’une
demande légitime qui témoigne d’un sens
élevé de patriotisme. Mais que faire face à
l’indifférence et au mutisme des parties
responsables censées prendre en main ce
genre de dossier?, se demandent certains
acteurs de la société civile locale. L’une
des agressions les plus scandaleuses contre
le patrimoine civilisationnel de Marrakech
et qui a, d’ailleurs, suscité beaucoup
d’indignation et de déception fut la
destruction le 4 avril dernier d’une partie
de la muraille de l’Agdal Ba Hmad. Même
l’Inspection des monuments historiques de la
ville a été dans l’incompréhension totale.
La question soulevée a été celle de savoir
pourquoi cette muraille a été démolie, alors
même qu’elle a été protégée par dahir et
déclarée patrimoine national ?
Pour la wilaya qui mène des travaux
d’aménagement au sein de ce site, cette
muraille menaçait ruine et ses fondations
ont été dans un état délabré et il fallait
donc y substituer une muraille renforcée en
fer forgé, un argument non convaincant selon
l’Inspection des monuments historiques de la
ville.
La question qui se pose, avec acuité, est
celle de savoir si on peut toujours tolérer
de tels agissements alors que c’est une
partie de l’identité et de la mémoire
collective du pays qui se trouve contrainte
à disparaître à jamais devant
l’irresponsabilité, le manque de civisme et
l’inadvertance des humains.
Autres monuments qui n’ont pas échappé à
l’agressivité de l’action humaine et à la
menace du temps, furent les ryads de
l’ancienne médina. Bien que nombre d’entre
eux aient bénéficié de travaux de réfection
et de mise à niveau par leurs nouveaux
acquéreurs, ces opérations n’ont pas été
faites dans les règles de l’art, puisque ces
nombreux joyaux ont été, malheureusement,
parfois complètement dénaturés notamment
avec l’usage du béton et autres matériaux
qui ne cadrent pas avec l’aspect
architectural et historique de l’ancienne
médina.
Pire encore, des ryads ont dû disparaître du
paysage architectural de la ville, cédant
ainsi place à de nouvelles constructions
combien attentatoires au regard des
visiteurs.
Pour certains observateurs locaux, les
seules actions de mise à niveau des
monuments historiques qui, jusqu’à l’heure
actuelle, demeurent salutaires ont concerné
la réfection de la mosquée de la Koutoubia
ou encore celles menées dans le cadre de l’INDH
pour la mise à niveau de certains anciens «
Fondouks ».
Une autre action non moins importante a été
menée, durant le mois de juillet de cet été,
pour la restauration du patrimoine
hydraulique urbain de Marrakech et ce, dans
le cadre d’un travail bénévole mené par un
groupe de jeunes étudiants : un Espagnol, 5
Français et 6 Marocains, inscrits dans
différentes spécialités, entre autres, la
géographie, l’architecture, les sciences,
les lettres, etc.
Pour donner du goût à leur action, ces
jeunes bénévoles ont focalisé leur choix sur
la réfection de l’une des plus anciennes
Sekaiya (fontaine) de la ville à savoir : «Sekaiya
Saadia au quartier Bab Doukkala et dont la
création remonte à l’époque des Saadiens
(16ème et 17ème siècles). Cette initiative
louable est l’œuvre du Centre méditerranéen
de l’environnement à Marrakech (CMEM), et
s’insère dans le cadre du projet
(Redécouvrons Ensemble les mémoires de l’eau
en Méditerranée : REMEE), co-financé par
l’Union Européenne dans le cadre du
programme Héritage IV.
Pour ce qui est de la ville de Marrakech, le
projet REMEE se décline en plusieurs
activités visant à faire revivre le
patrimoine hydraulique de la ville aussi
bien urbain que rural.
Afin de donner plus d’efficacité à leur
intervention, ces jeunes ont été organisés
dans le cadre de trois équipes dans le but
de mener, dès la prochaine rentrée scolaire,
plusieurs actions de sensibilisation dans
les collèges et lycées et ce, en partenariat
avec les institutions et les associations
locales.
En outre, quatre jeunes bénévoles se sont
déjà lancés dans l’établissement d’un
inventaire des fontaines dans le tissu
ancien de la ville, sous la conduite d’un
expert. Un tel inventaire permettra non
seulement de mieux cerner l’évolution et
l’état des ouvrages ayant servi longtemps à
alimenter la ville en eau, mais aussi de
faire connaître ce patrimoine auprès des
jeunes générations.
Il présente aussi l’avantage de faciliter
l’exploration d’autres voies dans la
perspective de mener d’autres actions plus
efficientes.
Moulay Abdeslam Samrakandi, chef du projet
REMEE, explique que ce projet consiste en
premier lieu, à démontrer que l’intégration
du patrimoine vernaculaire lié à la gestion
de l’eau dans des projets de développement
local répond aux enjeux de mobilisation des
citoyens et de développement économique
durable.
Recouvrant plusieurs activités liées à la
redécouverte du patrimoine méditerranéen lié
à la gestion de l’eau, ce projet étalé sur
30 mois (2009-2011), réunit 7 partenaires en
France, Tunisie, Algérie, Grèce, Turquie et
au Maroc. La préservation du patrimoine
demeure l’une des questions les plus
épineuses, car en dehors des actions menées
dans le cadre du bénévolat ou celles
conduites individuellement par de bonnes
volontés parmi certains historiens et
professeurs universitaires, une telle
question ne semble intéresser que peu
responsables et élus locaux.
Et même si les services habilités disposent
de programmes très ambitieux dans ce
domaine, il se trouve que leurs actions
demeurent souvent handicapées par un manque
de moyens voire par une multitude
d’intervenants et une interférence des
compétences.
Aussi n’est-il pas temps de s’inspirer des
expériences réussies de certains pays
étrangers dans ce domaine, lesquelles ont
démontré que la préservation du patrimoine
et des monuments historiques a contribué non
seulement à l’émergence d’un nouveau
tourisme culturel, mais aussi à pérenniser
et à développer ce nouveau créneau combien
rentable.
Le succès de toute action dans ce sens
demeure tributaire d’un changement radical
des mentalités, conjugué à un retour massif
aux valeurs de citoyenneté et de civisme.